Les théâtres grenoblois au fil du temps…
Une réflexion en résonance avec la pétition lancée par le collectif « Le Tricycle »
La Ville de Grenoble compte cinq salles de spectacles municipales (1) qui viennent compléter celles de la MC2 et du Théâtre Municipal, parmi lesquelles le Théâtre de Poche et le Théâtre 145, situés au bout du cours Berriat.
En 2010, ces deux théâtres ont été confiés au collectif « Le Tricycle », présidé par Serge Papagalli. Pour mémoire, une convention de cinq ans renouvelable a permis aux Barbarins Fourchus de gérer le Théâtre 145 de 1999 à 2010. La Cie de Serge Papagalli quant à elle, a développé ses projets dans ce lieu pendant plus de 15 ans, de 1983 à 1999.
Certains grenoblois se souviennent sans doute de l’année 1999. De nombreuses pétitions et des prises de paroles publiques animaient alors la vie culturelle grenobloise. En effet, cette année-là, les élus en place avaient décidé de renouveler les équipes artistiques se trouvant à la tête de plusieurs équipements culturels afin que d’autres compagnies s’y installent.
Ainsi, trois équipes artistiques s’étaient trouvées sommées de laisser les lieux à celles qui remporteraient l’appel à projets. Cette démarche concernait le Théâtre 145, Le Rio et le Théâtre Sainte Marie d’en Bas.
Cependant, une compagnie est restée trente ans dans le Théâtre Sainte Marie d’en Bas. Pour répondre à la question de son renouvellement, l’ancienne majorité municipale a initié un projet, poursuivi par l’actuelle majorité, qui a conduit Diden Berramdane à quitter ce théâtre en 2015, laissant place à la Cie Alma Musique dirigée par Antonio Placer.
Des modes de gestion évolutifs
Plusieurs formes de gestion des équipements publics co-existent. Elles ont d’ailleurs évolué au fil du temps en fonction des lieux, des histoires et des politiques culturelles :
– L’Espace 600, actuelle Scène Rhône-Alpes « jeune public », a été en gestion directe de la Ville de Grenoble jusqu’en 1996. Après avoir connu une programmation conçue par les habitants, les associations, la ville et des compagnies extérieures, la Cie de Jean-Vincent Brisa y est installée en 1986 pour «mettre en œuvre une programmation de qualité professionnelle et d’expression artistique pluridisciplinaire». Aujourd’hui, l’Espace 600 est géré par une association Loi 1901 liée par une convention à la Ville de Grenoble.
– Après avoir été géré par la Compagnie du Loup, le Théâtre de Poche est devenu le Théâtre de Création, lieu géré par la Ville et mis à disposition des équipes de création pour des temps de résidence et des présentations publiques.
– Le Théâtre du Rio a connu une autre destinée ; cet ancien couvent, en très mauvais état, nécessitait d’importants travaux de restauration. Il a été vendu par la Ville en 2004 aux Éditions Glénat. Depuis, il ouvre ses portes au public à l’occasion de concerts, d’expositions ou de visites patrimoniales.
Ces histoires nous racontent qu’au fil du temps, les changements orchestrés, pour quelque raison que ce soit, occasionnent des situations de crises. Il est toujours difficile pour un groupe (association, compagnie, collectif …) de laisser un lieu qu’il a investi, dans lequel il a fidélisé un/des public-s, dans lequel il a pris ses habitudes, dans lequel il souhaiterait rester encore et poursuivre l’aventure…
En dehors de ces parenthèses pendant lesquelles ces quelques compagnies bénéficient d’un toit de «rêve» (c’est-à-dire avec une scène, des places de spectateurs, du chauffage, des bureaux, un guichet, une vitrine…), elles, comme beaucoup d’autres, se débrouillent pour trouver des lieux où inventer des spectacles, les répéter, les jouer le plus possible…
Il est aussi difficile pour les élus comme pour les collectivités, conscients de toutes ces réalités, de trouver un modèle de gestion adapté pour ces lieux. Un modèle qui permettrait à un grand nombre de compagnies de préparer et produire leur spectacle dans des conditions professionnelles.
Une régie directe pour deux théâtres
La Ville de Grenoble a demandé au collectif « Le Tricycle » de lui rendre les clés des théâtres 145 et de Poche dès la fin de la saison 2015-2016, dans l’intention de reprendre la gestion en régie directe de ces deux salles et des personnels de la ville mis à disposition pour leur fonctionnement.
Pour signifier sa contestation, le collectif « Le Tricycle » a lancé une pétition recueillant plus de 1500 signatures. S’en est suivi un courrier réponse de la Ville de Grenoble, des prises de paroles par médias locaux interposés, un article dans Médiapart, etc.
Jusqu’en 2017, les élus de la Ville de Grenoble ont à faire face à une fragilité financière, induite notamment par la réduction des dotations de l’État. La ville doit trouver des moyens pour maintenir un équilibre budgétaire. L’un des moyens utilisés est de revoir à la baisse différents budgets.
Le budget culture (32 millions d’euros, soit le troisième budget de la Ville) a baissé de 600 000 € en 2015 et 300 000 € en 2016.
Les informations données par l’élue aux Cultures indiquent que la reprise en régie directe des théâtres est liée aux contraintes budgétaires. Nous laisserons de côté les questions de modèle de gouvernance et celles des liens entre art, culture, artistes et politiques, bien que le modèle de gestion retenu par la Ville soit l’un des éléments de la critique. Attendons que le projet soit mis en place pour l’évaluer…
Mais, puisque que c’est la situation budgétaire qui guide cette décision, il serait intéressant de réaliser le bilan économique de ce passage en régie pour évaluer la justesse de cette orientation.
Et pour aller plus loin, il serait aussi utile, d’une part, de savoir ce que coûte à la collectivité la place d’un spectateur dans les différents lieux de diffusion de la ville et, d’autre part, de faire une analyse croisée des profils des spectateurs.
Du national au local
La scène du spectacle vivant est-elle uniquement une entreprise économique ?
Dans le système capitaliste, l’art est pris en compte quand il devient produit, quand il relève d’une valeur marchande. L’argent investi dans la création est placé sur des créateurs en capacité de faire fructifier l’argent et s’adresse à un public ayant la capacité financière d’accéder à cet art. C’est pourquoi, comme l’explique Philippe Henry dans son ouvrage (2), le financement privé comme le mécénat ne seront jamais qu’une béquille dans le fonctionnement actuel des subventions. Les mécènes ne s’intéressent qu’aux «produits» phares, aux grosses machines qui fonctionnent déjà. Ce n’est pas avec le mécénat que la création artistique pourra se développer.
Dans une toute autre optique, les AMACCA (Association pour le Maintien des Alternatives en matière de Culture et de Création Artistique), équivalents des AMAP, retravaillent le lien entre producteurs et consommateurs dans une logique qui dépasse largement l’échange marchand. Ces associations mettent les citoyens au cœur d’un projet culturel dont ils sont les acteurs, elles militent pour une culture non marchande et une réappropriation collective de ce bien commun.
Les questions posées par l’équipe du Tricycle dans leur pétition sont intéressantes au-delà des politiques culturelles conduites par les villes. Elles interrogent le système, devenu aujourd’hui économique, de la culture au niveau local, national et international. Ces questions pourraient s’étendre à l’ensemble des domaines concernés par la culture : arts visuels, écriture, danse, vidéo, cinéma…
Réseau Citoyen de Grenoble
Février 2016
Article en .pdf: Les théâtres grenoblois au fil du temps – RC-02-2016
(1) Théâtre 145, Théâtre de Poche, Théâtre Sainte Marie d’en Bas, Espace 600, Théâtre Prémol auxquels viennent s’ajouter des salles de concert.
(2) Philippe Henry, Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle, Éditions de l’Attribut, coll. « La culture en questions », 2014, 256 p.